Si l’IA était un membre de votre équipe d’audit : comment lui appliquer le code de déontologie ?

Publié le 13 mai 2025 à 17:45

L’essor fulgurant de l’intelligence artificielle (IA) bouleverse les pratiques traditionnelles de l’audit financier. Des algorithmes d’analyse de données massives aux outils de détection d’anomalies en temps réel, l’IA s’immisce aujourd’hui dans chaque phase de la mission de commissariat aux comptes. Face à cette révolution technologique, un enjeu fondamental se pose : comment transposer les principes du Code de déontologie des commissaires aux comptes à un « collaborateur » qui n’est ni humain, ni doté de conscience morale ?

Plutôt que de considérer l’IA comme un simple outil, envisageons-la comme un membre à part entière de l’équipe d’audit, avec ses droits et ses devoirs. Ce parallèle permet de questionner la portée et la portée du Code de déontologie, et d’identifier les mesures concrètes pour garantir la fiabilité, l’indépendance et la responsabilité des travaux réalisés.

1. Principe d’indépendance : éviter les biais « systémiques »

Contexte humain : le commissaire aux comptes doit s’abstenir de toute relation qui compromettrait son objectivité.
Transposition à l’IA :

  • Transparence des jeux de données : documenter et contrôler les sources d’entraînement de l’algorithme pour prévenir tout conflit d’intérêts (ex. données internes du client) ou toute influence excessive d’un fournisseur tiers.

  • Gestion des mises à jour : veiller à ce que les évolutions logicielles ne réintroduisent pas de biais favorisant certains résultats (sélection de données, pondérations divergentes).

  • Auditabilité : conserver un « journal de bord algorithmique » retraçant chaque traitement, afin de prouver que l’IA n’a pas été influencée par des données confidentielles non autorisées.

2. Principe de compétence et de diligence : garantir un usage maîtrisé

Contexte humain : le professionnel doit détenir les connaissances et le savoir‑faire appropriés pour exercer sa mission, et faire preuve de soin et de diligence.
Transposition à l’IA :

  • Qualification de l’algorithme : sélectionner des modèles éprouvés dans le contexte de l’audit (analyse statistique, reconnaissance de schémas) et documenter leurs performances (taux de détection d’anomalies, faux positifs).

  • Validation continue : mettre en place un processus périodique de tests (sur données historiques) pour vérifier que l’IA reste performante malgré l’évolution des processus comptables ou réglementaires.

  • Encadrement humain : déterminer clairement les tâches confiées à l’IA (extraction de données, cru des indicateurs) et celles devant impérativement passer par un jugement humain (interprétation, appréciation du risque résiduel).

3. Secret professionnel et confidentialité : protéger les données

Contexte humain : le commissaire aux comptes est tenu au secret professionnel et ne peut divulguer d’informations confidentielles.
Transposition à l’IA :

  • Environnements sécurisés : héberger les algorithmes et les bases de données en infrastructures chiffrées, avec authentification multi‑facteurs et journalisation des accès.

  • Pseudonymisation et anonymisation : lorsque c’est possible, masquer les données personnelles ou sensibles avant ingestion par l’IA, pour limiter l’exposition en cas de faille de sécurité.

  • Clauses contractuelles : intégrer dans les licences logicielles des engagements stricts sur la non‑réutilisation de données client à des fins externes ou de re‑entraînement.

4. Comportement professionnel : transparence et loyauté

Contexte humain : le commissaire aux comptes doit adopter un comportement digne de la profession et rendre compte de son travail.
Transposition à l’IA :

  • Explicabilité des décisions : privilégier des modèles « interprétables » ou accompagner les résultats par des rapports d’explication (ex. : pourquoi tel flux de trésorerie a été signalé comme suspect ?).

  • Communication au client : informer en amont du recours à l’IA, de ses limites et des procédures de validation qui seront mises en œuvre.

  • Documentation complète : intégrer dans le dossier de mission les bulletins de versions, les paramètres de l’algorithme, ainsi que les écarts constatés entre recommandations de l’IA et décisions finales.

5. Responsabilité : l’humain reste garant

Qu’il soit perçu comme membre d’équipe ou simple outil, l’IA n’échappe pas à la règle de la responsabilité humaine. Le principe fondateur reste : le commissaire aux comptes signe et assume l’opinion émise. À ce titre :

  • Rétention de la responsabilité : chaque utilisation de l’IA doit être supervisée. L’auditeur conserve le rôle de « chef d’orchestre » et valide lui‑même les conclusions.

  • Assurance et gouvernance : envisager la souscription d’une couverture spécifique pour les risques liés aux technologies (erreur d’algorithme, faille de sécurité), et définir une gouvernance claire—par exemple un « comité IA » en cabinet.

6. Vers une actualisation du Code de déontologie

L'intégration de l’IA dans l’audit réclame une évolution réglementaire et normative du Code de déontologie :

  1. Annexe IA dédiée : définir une section spécifique, listant les bonnes pratiques pour l’audit algorithmique.

  2. Formation obligatoire : instaurer des modules de formation continue sur l’IA, destinés aux commissaires aux comptes.

  3. Baromètre de maturité : proposer un référentiel de maturité IA pour auto‑évaluer la conformité déontologique des cabinets.

L’IA est amenée à devenir un partenaire incontournable de l’audit financier. Mais pour qu’elle demeure un allié et non un risque, il est impératif de réinterpréter les grands principes déontologiques à la lumière de la technologie. Transparence des algorithmes, maîtrise des données, validation rigoureuse et responsabilité humaine constituent le socle d’une cohabitation éthique et fiable. En intégrant l’IA à la trame du Code de déontologie—plutôt qu’en la traitant comme un simple gadget—les commissaires aux comptes renforceront la qualité et la crédibilité de leur mission, au service de la confiance économique.

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