Affaire Financière Turenne Lafayette (groupe William Saurin)

Publié le 26 août 2025 à 08:30

La lutte contre la fraude interne et externe en entreprise repose en grande partie sur un dispositif de contrôle interne robuste et sur l’intervention diligente des commissaires aux comptes (CAC). Nous présentons ci‑dessous plusieurs affaires réelles, françaises ou internationales, où des fraudes ont échappé aux contrôles classiques. Pour chaque cas, nous décrivons le contexte et le déroulement de la fraude, les mécanismes comptables ou juridiques mis en œuvre, les failles de contrôle relevées, et nous analysons comment un audit plus rigoureux aurait pu permettre de les détecter ou prévenir. Les sources citées proviennent de médias reconnus et d’organismes officiels pour illustrer les faits.

Contexte

La Financière Turenne Lafayette (FTL) était une holding agroalimentaire française peu connue du grand public, propriétaire de marques populaires (William Saurin, Panzani, Madrange, etc.) et employant environ 3 200 personnes. Dirigée pendant longtemps par Monique Piffaut, l’entreprise était très endettée et en difficulté financière. Après le décès de la fondatrice en 2016, un audit interne a révélé que FTL vivait depuis dix ans sur des comptes « truqués ».

Déroulement de la fraude

Dès 2006-2016, Mme Piffaut et quelques dirigeants auraient « arrang[é] » les comptes en fin d’année pour masquer la réalité économique du groupe. Concrètement, la holding aurait émis de fausses factures (factures fictives de fournisseurs) en fin d’exercice pour gonfler artificiellement son chiffre d’affaires et masquer ses pertes réelles. Cette pratique de surfacturation de l’extrémité d’exercice se répétait sur plusieurs années. La fraude a éclaté fin 2016 : on estime à 250–300 millions d’euros le montant cumulé des factures fictives détectées. Le groupe devait également des sommes importantes à ses propres vendeurs (p. ex. 5,9 M€ non payés pour le rachat de Som’Baker) et l’État a dû débloquer 70 M€ d’aide pour soutenir la restructuration (ce qui a été qualifié de « vol » envers l’État). Au final, la fraude comptable entraîna la vente de tous les actifs du groupe pour éponger l’ardoise.

Mécanismes comptables/juridiques

La fraude reposait sur l’enregistrement de charges fictives ou de produits surévalués. En agissant principalement par fausses factures d’achats et d’avances, les dirigeants faisaient artificiellement remonter les ventes ou diminuer les charges, gonflant ainsi le bénéfice apparent. Juridiquement, ces actes tombent sous le coup des délits d’« escroquerie », « abus de biens sociaux », et « présentation de comptes inexacts », comme l’a cité le parquet de Paris lors de l’ouverture de l’instruction. Notamment, la CJIP Airbus (et la loi Sapin II) a introduit en droit français des mécanismes incitant les entreprises à dénoncer elles-mêmes de tels faits, mais dans ce cas la fraude a été découverte après décès de la dirigeante.

Manquements en contrôle interne et audit

Plusieurs failles critiques ont été soulignées : d’abord, la collusion interne (la dirigeante et quelques cadres) a empêché les contrôles ordinaires. Les CAC historiques (Mazars, puis PwC) ont certifié les comptes de la FTL pendant la période en cause, mais ils affirment n’avoir pas été informés des fausses factures. Ils ont précisément soutenu qu’ils étaient victimes de documents truqués et que leur mission (conforme à l’ancienne doctrine) ne consistait pas à débusquer toutes les fraudes. En pratique, les commissaires aux comptes ont probablement manqué de diligence dans l’examen des pièces justificatives de fin d’exercice. Par exemple, ils auraient dû exiger la confirmation de l’existence des fournisseurs fictifs et vérifier que les écritures d’achats concordaient avec des fournisseurs réels (circularisation des comptes fournisseurs).

Sur le plan réglementaire, la NEP 240 (norme française sur le risque de fraude) oblige le CAC à identifier et analyser les risques de fraude dans les comptes. De même, la NEP 265 impose de communiquer par écrit toute faiblesse significative du contrôle interne découverte. Or, dans cette affaire, un audit plus rigoureux aurait relevé plusieurs indices : par exemple, un responsable comptable cumulant de multiples fonctions (achats, ventes, caisse) sans séparation des tâches, ce qui enfreint les recommandations élémentaires. Les juges ont notamment noté que l’auditeur aurait dû « attirer l’attention, par écrit, de la direction sur les faiblesses du contrôle interne » en l’espèce. Dans le cas FTL, si les commissaires avaient vérifié la réalité des créances et dettes liés aux fausses factures, ils auraient peut-être repéré l’absence de réels fournisseurs et ainsi signalé des anomalies (par exemple via des confirmations externes ou un examen forcé des contrats). De plus, la répétition annuelle d’un « ajustement » d’environ 30–40 M€ aurait dû mettre en alerte (écarts improbables, compte « fournisseurs tiers » fluctuant trop).

Les contrôles du CAC

Un commissaire aux comptes attentif aurait appliqué des procédures spéciales lors de la revue des écritures de fin d’exercice. Il aurait pu par exemple : demander une ventilation détaillée des factures « exceptionnelles », effectuer un contrôle analytique des marges (pour détecter la hausse artificielle des marges), ou contacter directement des fournisseurs sélectionnés pour confirmer l’existence réelle des factures. Selon la doctrine, il aurait aussi réévalué le risque de fraude malgré l’absence apparente d’indicateurs (le fait qu’une dirigeante accumule 10 ans de soucis financiers sans transparence est en soi suspect). En signalant au conseil d’administration (ou aux organes de gouvernance) ces anomalies, le CAC aurait pu forcer la tenue d’enquêtes internes bien plus tôt. Au minimum, il aurait dû déposer une alerte légale quand les incohérences sont apparues. Sans cette détection précoce, la fraude s’est poursuivie sur une décennie. Les juristes reconnaissent que les CAC ont une obligation générale de « non complicité », et en droit pénal ils risquent aujourd’hui d’être mis en cause en cas de graves manquements. En l’espèce, le commissaire aux comptes a déposé plainte pour « faux et usage de faux » contre FTL, signe que l’auditeur se considère piégé par de faux documents. Mais un audit plus critique et une meilleure communication interne (NEP 265) auraient été les meilleurs moyens de prévenir cette fraude massive.

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