Fondations : l’intérêt général sous contrôle

Publié le 5 août 2025 à 08:15

Elles portent des noms prestigieux, œuvrent pour l’éducation, la culture, la recherche médicale, la solidarité, l’environnement ou la défense du patrimoine. Derrière ces structures, que l’on qualifie de « fondations », se jouent des engagements philanthropiques de grande ampleur… mais aussi des logiques de gouvernance, de contrôle et de gestion dignes des meilleures entreprises. Et si le commissaire aux comptes y trouve une place, ce n’est pas seulement pour certifier les comptes : c’est pour garantir que la confiance du public n’est jamais trahie.

En France, les fondations connaissent depuis une vingtaine d’années un essor considérable. Fondation d’entreprise, fondation abritée, fondation reconnue d’utilité publique… le droit leur offre une diversité de formes, mais un même objectif : affecter durablement un patrimoine à une œuvre d’intérêt général.

Or, dès lors qu’il y a patrimoine, argent, gestion, il y a nécessairement un enjeu de responsabilité. Et c’est là que le rôle du commissaire aux comptes prend tout son sens.

Entre mécénat et gestion : la double nature des fondations

Contrairement aux associations, qui naissent souvent de la volonté collective d’un groupe de personnes, les fondations sont le fruit d’un acte de volonté individuelle ou d’entreprise : une ou plusieurs personnes morales ou physiques décident d’affecter irrévocablement des fonds à une cause. Elles créent une structure autonome, encadrée juridiquement, pour porter cette mission dans la durée.

Mais cette autonomie reste encadrée : les fondations, notamment les fondations reconnues d’utilité publique (FRUP), sont soumises à un contrôle étroit des pouvoirs publics. La création d’une FRUP nécessite un décret en Conseil d’État. Ses statuts, son fonctionnement, ses comptes sont contrôlés par la Cour des comptes ou l’Inspection générale des finances.

Et surtout, lorsqu’elles dépassent certains seuils ou lorsqu’elles collectent des fonds du public, elles ont l’obligation de nommer un commissaire aux comptes.

Ce dernier devient alors l’un des garants essentiels de la probité de la structure.

La mission du commissaire aux comptes : plus qu’une certification

Dans une fondation, la mission du commissaire aux comptes ne s’arrête pas à la vérification des comptes annuels. Elle engage un regard d’ensemble sur :

  • La sincérité des recettes : dons, legs, subventions, mécénat d’entreprise. L’origine des fonds doit être parfaitement tracée.
  • La conformité des dépenses avec l’objet statutaire : une fondation qui s’écarte de sa mission d’intérêt général peut voir sa gestion contestée.
  • La régularité des conventions passées avec les fondateurs ou les dirigeants : toute relation économique entre la fondation et ses parties prenantes doit être transparente.
  • La gestion du patrimoine : certaines fondations disposent de portefeuilles financiers conséquents. L’auditeur doit s’assurer de leur bonne gestion, de la séparation des fonctions, de la délégation d’arbitrage ou du contrôle du conseil d’administration.
  • La gouvernance : composition du conseil, organisation des délibérations, existence ou non de conflits d’intérêts.

En résumé, l’auditeur certifie les comptes… mais il éclaire aussi le fonctionnement global de la structure. Son rôle s’étend parfois à la présentation d’un rapport à l’assemblée ou au conseil d’administration, à la vérification de l’emploi des fonds provenant de la générosité du public, voire à des diligences spécifiques si des irrégularités sont suspectées.

Zones sensibles : quand la philanthropie s’expose

Si la fondation incarne l’élan généreux d’une entreprise ou d’un particulier, elle peut aussi cristalliser des tensions ou des ambiguïtés. Le commissaire aux comptes doit rester attentif à plusieurs zones de risque.

  1. L’indépendance réelle de la fondation vis-à-vis de son fondateur : certaines fondations d’entreprise, en particulier, peuvent voir leur gouvernance captée par le donneur de fonds. L’auditeur veille à ce que les décisions soient prises dans l’intérêt de la mission statutaire, et non à des fins de communication ou d’optimisation fiscale.
  2. Le risque d’abus de biens sociaux déguisés : une fondation qui finance des événements, des voyages ou des consultants sans lien réel avec son objet est une fondation en danger.
  3. Le contrôle des flux financiers intra-groupe : dans les groupes associatifs ou familiaux, les transferts entre entités (prêts, dons, prestations croisées) doivent être strictement encadrés. Le CAC identifie ici les risques d’autofinancement déguisé ou de dérives patrimoniales.
  4. Le blanchiment ou les dons d’origine douteuse : le secteur non lucratif n’échappe pas à la vigilance de Tracfin. Une fondation recevant des dons réguliers de l’étranger ou de particuliers non identifiés doit déclencher l’alerte.

Une parole rare mais essentielle

Lorsque le commissaire aux comptes d’une fondation relève des anomalies significatives – dépenses non justifiées, conventions irrégulières, risques de continuité d’exploitation, gouvernance défaillante – il peut aller jusqu’à alerter le préfet ou l’administration de tutelle. Cette mission d’alerte, parfois délicate, s’inscrit dans le cadre de l’article L.823-12 du Code de commerce.

Mais, plus souvent, sa parole s’exprime dans les rapports de certification, dans les recommandations adressées au conseil, dans les entretiens avec les dirigeants. C’est une parole discrète, mais précieuse. Elle contribue à structurer, à professionnaliser, à faire évoluer.

Vers une gouvernance renforcée des structures philanthropiques

À l’heure où la philanthropie prend une place croissante dans la vie publique – que ce soit dans la transition écologique, l’éducation populaire, la santé ou la culture – les fondations doivent aussi faire preuve d’exemplarité.

Le commissaire aux comptes y participe pleinement. Son expertise technique s’accompagne d’une vigilance éthique. Il est le garant du lien de confiance entre le financeur, le gestionnaire et le bénéficiaire. Il veille à ce que la cause défendue ne soit pas dévoyée, à ce que la rigueur financière soit au service de l’action sociale, et non l’inverse.

Plus encore : son regard extérieur est souvent l’un des rares moments où la structure se voit questionnée sur ses choix, ses arbitrages, sa cohérence interne. Il apporte une respiration institutionnelle.

Le secteur des fondations n’est pas un sanctuaire. Il est, comme tout secteur, traversé par des tensions, des risques, des logiques de pouvoir. Mais il est aussi, dans bien des cas, porteur d’initiatives formidables, d’innovations sociales, de réponses inédites aux grands défis contemporains.

Dans cette dynamique, le rôle du commissaire aux comptes n’est ni celui d’un censeur, ni d’un simple vérificateur. Il est celui d’un garant. Il rappelle, inlassablement, que l’intérêt général mérite mieux que des intentions : il mérite une gestion exemplaire.

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