Et si on auditait la « société France » ? Comprendre l’État comme un grand groupe public

Publié le 29 juillet 2025 à 08:05

Imaginez que la France soit une entreprise, et que le commissaire aux comptes doive certifier ses comptes. Comment se préparerait-il ? Voici un audit fictif, mais rigoureux — avec une pointe de dérision : on y parle d’un niveau d’endettement impossible, d’un déficit chronique, d’un contrôle interne en chantier, et de risques à tous les cycles financiers.

Planification de la mission

La mission d’audit de la "société France" couvrirait les comptes publics 2024, homogénéisés selon les normes de comptabilité d’État. Le périmètre comprendrait l’ensemble des ministères, des opérateurs publics et des comptes sociaux. Avec une matérialité fixée à plusieurs milliards d’euros (environ 0,1 % du PIB, soit 3–4 milliards €), seuls les écarts dépassant ce seuil sont considérés significatifs.

L’équipe d’audit mobiliserait des spécialistes de la fiscalité, des finances publiques, des processus administratifs et du risque social. Elle intégrerait les données de la Cour des comptes, l’Agence France Trésor, l’INSEE, la Banque de France et le Haut Conseil des Finances Publiques.

Risque inhérent : des chiffres hors norme

  • La dette publique est passée à 113 % du PIB en 2024, et devrait atteindre environ 115–116 % en 2025–2026 selon la Commission européenne et l’OCDE.
  • Le déficit public avoisine les 5,8 % du PIB en 2024, avec un plan de consolidation visant 5,6 % en 2025 et 5 % en 2026 — loin des objectifs européens de 3 % du PIB.
  • La croissance économique est faible : environ 1,1 % en 2024, ralentissant à 0,6‑0,8 % en 2025, selon Banque de France et OCDE【0.6 %】.
  • Les charges d’intérêts s’envolent : remboursement de la dette estimé à 60 milliards € par an, et plus de 100 milliards en 2029 si la dette continue d’augmenter.

Ces niveaux témoignent d’un risque inhérent élevé : sans croissance robuste ni réduction durable des dépenses, l’équilibre global reste fragile.

Contrôle interne : progrès… mais lacunes

Un comité de pilotage (CICAI) et des audits internes émergent progressivement, notamment sous l’impulsion de la loi Sapin II. Toutefois, les administrations restent très dispersées, et les systèmes comptables (ministères, collectivités, opérateurs) ne communiquent pas entièrement entre eux. Les circuits de validation des dépenses publiques peuvent sembler imposants mais pas toujours fiables : certains ministères appliquent encore des procédures manuelles ou des saisies tardives.

La Cour des comptes a certifié les comptes 2024 avec réserve technique évoquant des insuffisances méthodologiques. Le contrôle interne est donc jugé en progrès, mais encore moyen à élevé en risque, selon la dignité des processus.

Risques par cycle

  • Recettes : faible impôt, imprévus fiscaux

Les recettes fiscales nettes en 2024 s’élèvent à 325 milliards €, croissant très faiblement (+1 % seulement). Cela s’explique par une faible élasticité des impôts à la croissance, et une complexité législative fiscale grandissante. Les audits vérifieraient la recognition conforme des recettes et la cohérence avec les lois de finances.

  • Dépenses : flambée des coûts sociaux et locaux

Les dépenses publiques (hors aides exceptionnelles) ont augmenté de +2,7 % en volume en 2024, notamment sur les collectivités locales (+3,6 %) et les prestations sociales (+3,1 %). L’audit ciblerait les achats publics, subventions, transferts, en examinant les appels d’offres, le respect des plafonds et l’usage réel des fonds.

  • Dette publique

La gestion est centralisée par l’AFT et auditée par les marchés : peu d’erreurs opérationnelles. Cependant, les engagements hors-bilan (garanties, retraites publiques futures) doivent être évalués. L’augmentation du service de la dette est un signal d’alerte fort.

  • Blanchiment / fraude

La France renforce ses dispositifs anti‑blanchiment (traités TRACFIN, cibles comme crypto ou promoteurs immobiliers) mais certaines administrations demeurent vulnérables (douanes, marchés publics). L’auditeur vérifierait l’application des contrôles légaux, même si le risque global est jugé faible pour les comptes publics.

Continuité d’exploitation

Un État de la zone euro ne fait pas faillite comme une entreprise privée : il peut ajuster fiscalement, emprunter, ou bénéficier du soutien européen. Toutefois, les agences de notation (Moody’s, S & P, Fitch) ont abaissé la note à Aa3, avec perspectives négatives. L’audit conclurait que la continuité est assurée, mais que le scénario d’un choc (hausse des taux, absence d’ajustement budgétaire) pourrait compromettre l’accès à des financements soutenables.

Événements post‑clôture

  • Polémique sur l’élimination de deux jours fériés pour économiser 4 milliards (Lundi de Pâques et 8 mai) : idée symbolique, mais peu prouvée selon la Cour des comptes.
  • Crise politique persistante : recours possible à l’article 49-3 pour faire passer le budget 2026, ce qui fragilise la gouvernance et crée une incertitude structurelle.

🧾 Opinion du commissaire aux comptes

En tant que commissaire aux comptes fictif de la « société France », voici mon avis basé sur les données de juillet 2025 :

  • Certification sans réserve n’est pas possible : les comptes peuvent être sincères et conformes dans leur présentation, mais l’environnement budgétaire et la fragilité des processus internes justifient une certification avec réserve.
  • Réserve majeure : sur les risques liés au déficit structurel (plus de 5 % du PIB), à la dette croissante et aux lacunes des contrôles internes, notamment dans certains ministères ou opérateurs.
  • Le risque de blanchiment/fraude demeure faible pour les comptes publics, mais l’insuffisance des contrôles dans les grandes procédures publiques pourrait générer des anomalies si certains flux échappent à la traçabilité.
  • Je recommanderai de suivre l’évolution du déficit 2025, la mise en œuvre des mesures fiscales (suppression de jours fériés, gel des salaires publics, réformes sociales), et l’amélioration des dispositifs d’audit interne (CICAI, DGFiP, etc.).

À suivre pour l’année prochaine :

  1. Amélioration de la gestion budgétaire en temps réel, avec un pilotage plus synchronisé entre ministères.
  2. Renforcement des processus de contrôle interne et de traçabilité sur les subventions et marchés publics.
  3. Suivi de la trajectoire de la dette, notamment le coût des intérêts.
  4. Évaluation de l’efficacité réelle des mesures fiscales proposées dans le plan 2026 (économie de 44 milliards €).

La « société France » est auditée : ses comptes sont présentés de manière régulière et sincère, mais avec une gouvernance encore imparfaite et une trajectoire budgétaire risquée. La certification avec réserve refléterait cette réalité : un État aux chiffres officiels respectés, mais à la trajectoire préoccupante. Un appel à la vigilance, donc, aussi sérieux que professionnel.

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